CAN-2025: la critique est plus frontale en Afrique, affirme le sélectionneur ivoirien Emerse Faé
Nommé sélectionneur de la Côte d'Ivoire suite à la démission de Jean-Louis Gasset pendant la CAN-2023, Emerse Faé a accompli l'impossible en remportant le titre de champion d'Afrique seulement quatorze jours après, chez lui, sans aucune expérience préalable en tant qu'entraîneur à ce niveau.
Assuré de sa place en huitièmes de finale de la CAN-2025 au Maroc avant son dernier match de poule contre le Gabon mercredi à Marrakech, il décrit dans une interview à l'AFP comment il a évolué de la gestion d'urgence vers une construction patiente d'une équipe pour défendre son trophée, malgré le déferlement de critiques qui en découle.
Les choix de joueurs, les options tactiques, rien n'échappe à Faé, originaire de Nantes en France et dont la carrière de footballeur s'est principalement déroulée en Ligue 1, interrompue à 28 ans seulement, et qui bâtit maintenant son chemin d'entraîneur sur des succès surprenants.
Question: Vous êtes les champions d'Afrique sortants, qualifiés pour la Coupe du monde et déjà assurés d'accéder aux huitièmes de la CAN-2025 avant votre ultime rencontre de groupe, pourtant vous affrontez des critiques constantes. Le peuple ivoirien est-il excessivement demandeur?
Réponse: C'est l'aspect négatif du poste de sélectionneur, qu'il soit africain, européen ou américain. Mais si en Europe la critique reste souvent mesurée, elle s'exprime de manière directe en Afrique. Il y a certes de l'exigence, et une forte charge émotionnelle. En Afrique, on est davantage porté par les émotions. Nombre de personnes commentent sans connaître tous les détails. Presque tous les jours, j'entends des reproches totalement injustifiés. On m'a par exemple accusé de ne pas convoquer des joueurs blessés. Il est essentiel de garder la distance, car si on se focalise trop là-dessus, on gaspille beaucoup d'énergie. Je conserve mon énergie pour mes joueurs, pour l'équipe, pour les motiver et résoudre les défis tactiques imposés par nos adversaires.
Q: Réussissez-vous à maintenir cette distance?
R: Parfois cela me blesse, cela m'affecte. Alors je me pose la question: qu'est-ce qui prime, être critiqué mais avoir le soutien complet de mon groupe, ou être encensé tandis que mes joueurs ne adhèrent pas à mes idées? L'essentiel reste mes joueurs, mon équipe et sa cohésion. Il est devenu si simple pour chacun de critiquer de nos jours, de saisir son téléphone, d'ouvrir un compte, de tourner des vidéos pour attirer l'attention. Pour buzzer, mieux vaut être agressif, moqueur, plutôt que bienveillant. Mais bon, cela fait partie du jeu.
Q: Vous visez un doublé, une performance inhabituelle. Est-ce vraiment réalisable?
R: Absolument, mais ce sera ardu. Huit ou neuf formations disposent d'un effectif capable de l'emporter. De plus, en tant que tenants du titre, j'ai le sentiment que nos rivaux se surpassent quand ils nous affrontent, contrairement à ce que j'observe lors de mes analyses préalables. Cela complique encore plus les choses. Si nous ne sommes pas préparés dans tous les domaines, que ce soit sur le terrain ou ailleurs, nous ne triompherons pas. Pourtant, nous possédons cette assurance qui nous pousse à lutter jusqu'au bout pour décrocher cette quatrième étoile.
Q: Comment évaluez-vous votre trajet en tant que sélectionneur?
R: D'abord, je pense avoir beaucoup de chance, à mon âge, de diriger une des meilleures équipes d'Afrique. Ensuite, les conditions de mon arrivée étaient étranges: au cœur d'une compétition, le jour de mon anniversaire, avec le départ d'une personne que j'estimais. Rien n'était habituel. J'ai tenté d'ignorer tout cela. Puis, après le titre, j'ai œuvré pour assurer la continuité, afin que ce ne soit pas un coup de chance, en passant d'une opération rapide à l'édification d'un groupe solide.
Q: Il y a deux ans, vous remplacez Jean-Louis Gasset en pleine compétition, cette année, il nous quitte durant la phase de groupes. Vous excellez-vous dans l'adversité?
R: Nous le découvrirons plus tard. Mais ces incidents testent vraiment la résilience et l'esprit d'équipe. Avant le décès de Jean-Louis, il y a eu l'affaire Nicolas Pépé (non convoqué pour des déclarations contre les binationaux, note de la rédaction), qui brille cette saison à Villarreal et qui est un pilier de cette attaque rajeunie. Sans oublier la blessure de Sébastien Haller. En tant que sélectionneur, il faut toujours s'ajuster.